Du haut d'Ixelles à l'Europe par les flancs d'Etterbeek

Je me souviens de la rue de la Verveine. On y trouvait la vinaigrerie « l’étoile », qui existe encore? Peut-être n'est-elle plus là, tout fut-il rasé pour implanter les bâtiments pharaoniques de ce qu'on appelle ici "l'Europe"? Je n'en sais rien, je ne fréquente plus ce quartier, mort sous des tonnes de cravates sombres qui ne parlent aucune des langues d'ici, restant dans leur pré carré. En passant, on parle toujours de la "bonne intégration" des fonctionnaires européens. En l'opposant tacitement à celle des "familles immigrées". Moi, je dis que c'est facile de s'intégrer avec trois milles euros nets d'impôt (pour la plus "petite" secrétaire même pas traductrice).
Par ici, il y avait la rue Van Merland. Où se trouvait la petite église qui fut restaurée? Je me souviens aussi de la chaussée d’Etterbeek, avant, il y avait le haut et le bas, c’était plus populaire en bas.

Pierre Duys et une Anonyme

La légende du cheval Béjart et des quatre fils aimants

Je me souviens du départ de Béjart, quand il a quitté la Monnaie. Mais pourquoi qu'il est parti? Je sais pas. Sans doute un spectacle qu’il n’a pas pu faire, ou quoi? Il est parti, ca est sûr! Moi, de toute façon, je m'en fous car j’ai rien vu de Béjart.

Carambolage

Je me souviens, bus 54, les portes s'ouvrent, la plus belle femme du monde monte et pointe ses escafignons dans ma direction. Elle s'asseoit en souriant. Ses jambes se chevauchent sous mes billes oblongues. Je suis le loup de Tex Avery. Son regard: limpidité du lagon vert et orange et jaune et gris et pan ! J'en peux plus, sous hypnose, le gars. Sa peau: mandarine, pêche, cirrhose, tomate; un filon, un jet de pierre, une ridicule écorce de rosier. Je perdais mes chaînes, toutes, mes rondelles, une pédale, trois caramels, un mojito, je vous prie, demandè-je au chauffeur qui me regarde d'un air sans portes. Je nous voyais, sur une terrasse au bord du Nil, elle et moi, à quelques pas des torses miroitant de colosses cyclopéens montés à vif par des oies sauvages dans des barques d'albâtre, perdus dans l'observation attentive des radicelles des nénuphars bleuissants sous le soir, des dromadaires se culbutent au sommet de dunettes râpées, les célèbres nénuphars bleus d'Abyssinie se noient sans fin sous des lames sans fond. Et moi, en peignoir de satin noir, tous poils dehors, je me gratte.

Sers-moi fort

Je me souviens quand je suis arrivé à Bruxelles, j’ai bossé à la construction des tours, devant la gare du Nord. Avant, ce n’était que des petites maisons et des putes. On a dit à tout le monde de décamper. Les petites maisons n’existent plus.

Trop grave quoi !

Je me souviens que le Dj avait tellement mal aux doigts à force de scratcher qu’il scratchait avec ses pieds. C’était dingue quoi, tu vois, c’est çà la nuit à Bruxelles.

Ramadan

Je me souviens, hier soir, Mustafa nous a apporté des gâteaux: baklawa, rfisa, kalb ellouz, dattes fourrées, toute la panoplie. Cela tombait bien, parce qu'une jolie menthe bien grasse pousse sur la terrasse qui nous pend chaque matin aux narines ses parfums volatiles.

Hélène à Matonge

Je me souviens avoir vu mon amoureux pour la première fois chaussée de Wavre. Il était en short et faisait des bonds de lapin entre deux Africaines qui balançaient leurs grosses fesses. L’air sentait la patate douce.

Fishstick, les yeux dans les coins

Je me souviens du marché matinal, rue Léon Lepage. C’était un marché aux poissons. Les échoppes étaient couvertes. C’était un bâtiment. Un vrai marché quoi. Une halle, mais avec des poissons. C’était ouvert tous les jours, comme un supermarché, mais seulement avec des poissons.

Anonyme

Trois blocs de chez moi

Je me souviens que Londres était à 5 heures de Bruxelles. Paris, Cologne et Amsterdam étaient à trois heures. Ce sont à présent les quartiers d’une ville énorme.

De Verdroncken familie

Je me souviens d'aventureuses chasses aux têtards aux étangs des enfants noyés. On courait sur les berges une épuisette à poisson rouge à la main.

Frometon nucléaire

Je me souviens de l’Atomium avant rénovation : l'intérieur en ruine d'un moule à gruyère.

L'arbre de mai

Je me souviens de la procession du Meiboom: des types à moitié bourrés – si pas complètement – figurants des soldats moyenâgeux armés de piques et de boucliers, sponsorisés par le Crédit Communal dont le logo est un casque de chevalier bleu. le Bourgmestre paradait dans une décapotable américaine des années cinquante, couleur crème. Les génies de la communication ont du se dire que c’était trop cool.

Petit blanc

Je me souviens avoir entendu parler d'un grand éléphant blanc à Tervuren en face du musée. Dans mon imagination j'étais très impressionnée. Quand je l’ai vu, j’ai été déçue: c’est l’éléphant du chocolat Côte d’or avec un pygmée sur le dos.

Titi

Je me souviens du Marché aux Oiseaux sur la Grand Place, le dimanche matin. J’y allais avec ma mère. Je voulais un canari. Que vas-tu faire avec un oiseau? Je les trouvais magnifiques. Elle a longtemps refusé. Quand je l’ai eu, il est mort.

Devoir de mémoire

Je me souviens, je me souviens… Je me souviens de rien moi monsieur !

Suske nèn Freddy

Non, je ne me souviens pas d’Annie Cordy, ni de Brel, ni de Johnny. Ca est pour les Français ça. Ici, on a rien à voir avec ça. Ca est la ville la plus cosmopilote du monde, fieu, Bruxelles. Ca est un stoempot, nè. On est des zinneken, des batards, tu vois, en Français, et on est fier de ça. Avec tout ces labbekak de Français qui se pincent le cul même pour pisser et ces vloems qui se prennent pour je sais pas quoi. Ici, ya tout qui cuit ensemble. La pureté de la race, ça a jamais pris ici. Faut être un ghrand pays, avec une ghrande kultuur que tu crois, pour ça. Ici, on est petits, on fait pas son stoeffeleir et on sait vivre. Wé, wé, ca est comme ça. La Marolle ca toujours été comme ça, nè? Alors Annie Cordy, tsé, même que ça serait la reine des pommes en personne, on s'en fout. Alleî, salukes hè.

Beat Generation

Je me souviens des fuifs à la Gaïté, début quatre-vingt: la New Beat. Le top, mon gars, c’était les insignes «Golf» qu'on se mettait autour du cou, en pendentif, enfin... pas moi, mais les Beat Boys, oui. Personnellement, j'ai pas trop ressenti le besoin de me déguiser. Bon, je serais un peu grunge mais pas encore à l'époque. Trop ridicule ces types torse nu sur les baffles avec leur insigne de bagnole à la con. Une révolution, c'est ce qu'on entendait, discours de propagande oblige, tout est révolutionnaire; la New Beat, c'était surtout la manière de danser. Faut tout de même voir qu'on venait du disco. Hein. Si tu vois ce que je veux dire. Le matin bien entamé, nous-mêmes dans des états, je te dis rien, on rentrait en suivant les rails du tram, pour être bien certains du chemin. Faut dire qu'on chantait et qu'on voyait plus grand chose. Oh, on avait pas plus de treize ans, peut-être quinze, et les tympans explosés. TGV toute la nuit. Tequila Gin Vodka. Si. Imagine, lumière noire, cette musique hypnotique, ces corps nus... Comment dire... Premières défonces, tu plânes, de l'elixir dans ton verre, tout arrive. Hey! Franchement?! Qu’est-ce qu’on a inventé en Belgique depuis la New Beat? Dutroux?

La Marolle

Plus tof, plus spoem que notre Bruxelles, cela n'existe pas. Ca est une ville où on peut babbeler dans sa langue et faire la zwanze à la place de Brouckère entre deux bloempots. Un vrai bruxellois, c'est un zinneke, un kiekefretter qui fait du stoef et qui pour boire son pot ne fait pas de poef. Et c'est dans les Marolles qu'il va knabeller les bonnes caricolles. Ses krotjes, ses strotjes et le métro, la gueuze, le kriek et le faro sont sa gloire et sa réussite comme Manneken-pis et les patates frites!

Jo May
investiture de Suske DD, ambassadeur de la Marolle
9 janvier 1999

Sous la terre

Je me souviens des premiers pas du Full Moon, l’action-painting, impros funk, jazz, théâtre, live, Dj’s. On vivait de fêtes perpétuelles, ivres de vie, on tournait ces films, ces concerts, cette insolence, ces ambigüités.

Sur la route

Je me souviens d’un voilier minuscule, un insecte avec des béquilles, en cale sèche sur la berge du canal, la hutte du vieux hippie, JeanJean.

Eurostar

A Bruxelles je me souviens de Paris. A Paris je me souviens de Bruxelles.

Cosa Nostra

Me parle pas de ma cousine, ça me rappelle cette après midi dans ma chambre alors que la famille s'empiffrait au salon et que les cousins se refaisaient l'attaque du train postal dans le grenier. Je lui ouvre sa petite chatte. Je lui fais tout un tas de bisous. On est planqués derrière un coffre à jouets. Elle se marre. Au début ça lui fait des chatouilles puis tout s'emballe d'un coup, les cousins entrent en imitant des tchouktchouks et des pan t'es mort. je suis immobile en elle qui m'embrasse comme un petit jésus.

Eurocorps

Je me souviens avoir vu Métropolis projeté sur la Tour des Finances. On se croyait à Gotham City. Les esclaves déferlaient des escaliers géants, les pistons du ventre des machines, cette horloge, ce blanc, ces auiguilles, instigation de la peur fondamentale, cloués à la survie du corps, immobiles en ce temps mesuré, des échelles, notre temps qu'on prostitue, ce joug ; des machines surchauffées, en transes mécaniques, nous avalent, nous étions, raidis, dans les bras l'un de l'autre, empeloté dans les allées du parc Botanique.

Les affranchis

Enculer une vierge c'est facile, même sainte, mais se faire sucer par Marie... Ses petits yeux de fouine et son gros cul. Dix ans que j'essaie. Elle me dit toujours: tout le bistrot m'est passé dessus, y'a que le tram, mais toi, toi tu es l'élu, jamais tu m'auras, t'es trop bien pour moi. Saloperies d'élections.

Je me souviens de raves délirantes dans les caves de l’ancienne école vétérinaire. Les watts déchiraient leur mère, le monde battait sa transe, c’était joyeux, sans hystérie, tu accrochais n’importe qui, j'y ai goûté Marie au centre de la pelouse sous une lune coaccusée.

Brusel

Je me souviens du chantier des tunnels du nouveau métro. Je lançais cette balle-prétexte dans les immenses salles que des excaveuses au nez tranchant délogeaient du sol marécageux frigorifié pour la circonstance. Je désirais perdre ce ballon dans le dédale souterrain, m'y égarer. On dit, et c’est vrai, qu’il existe sous Bruxelles une ville enfouie.

Woudhoû

Je me souviens, le convecteur se dérobait à sa tâche. J’appelle Mustafa, le frère de la propriétaire, un expert en réparation. Il empoigne tournevis et marteau, démonte le machin, s’agenouille et frappe trois petits coups secs sur la carcasse metallique dont l'orgasme est un BOING-CLAC, et ça se remet à fonctionner. Satisfait, Mustafa me dit: «Moi, je fais ma prière et je me lave trois fois par jour, comme çà chez moi tout fonctionne toujours». J’étais sale et pas rasé… Inch’Allah!

Place Sainte Croix

Je me souviens lorsque les feux fonctionnaient place Flagey, c’était le foutoir. Et là, il n’y en a plus depuis des mois, la circulation est fluide comme jamais. Pas une engueulade, pas un klaxon, les gens s’arrangent. Comme quoi l’anarchie c’est pas forcément la destruction, ni le chaos.

La retebeuf

Je me souviens que le dimanche vers midi, je ne dois pas rater la quatrième dimension.

Relent de fin d'été

Je me souviens du bouquet de la ville, ses remous. Accoudé à la balustrade, face à l'Ouest, je dilate les narines en mangeant mes tartines sur la terrasse Poelaert, alors c’est clair : c’est l’odeur du lundi, la rentrée, j'ai dix ans. Chaque année c’est la même chose, le même parfum au même moment et on ne peut pas vraiment dire s’il est agréable.

L'Ommegang du petit page

Je me souviens de David qui me racontait que lorsqu'il était petit il faisait le page à l’Ommegang. Son père était secrétaire de la Guilde des Archers. Il défilait en blanc, portant le drapeau de la confrérie et, sur la tête, un chapeau orné d’une seule plume rouge mais géante.

Art Nouveau

Je me souviens, Square Ambiorix, élève à Max-Carter, cours de gymnastique, on courait tous les jeudis. Pendant que d'autres battaient des records de tension artérielle, très calmement et parfaitement indifférent à tout, j’ai admiré les maisons-fleurs parmi les plus gracieuses de l'univers connu.

Lueurs

Je me souviens, j’avais dix ans, ma grand-mère m’a dit: tu es un rêveur. Je me suis demandé si je rêvais la nuit et j’ai répondu que oui. Je me souviens très bien m’être demandé si c’était péjoratif, d’être un rêveur. Je me souviens avoir eu la réponse très vite. Je me souviens avoir pensé qu’on a tous le même âge, mais pas en même temps.

Je me souviens : Bois de la Cambre, autour du lac, pendu par les bras à cette branche basse grasse comme six cuisses, je me suis dit : c’est mon anniversaire, j’ai dix-sept ans, je ne ferai rien de bien avant trente-cinq, je me souviens, je me suis dit : si tu te lances dans cet état dans la vie, tu vas te perdre, tu ne comprends rien, on ne peut rien faire sans comprendre, je dois avant tout comprendre. Sept ans plus tard, je m’intéresse à l’étymologie du mot « comprendre » et je comprends. Depuis, je transporte et je remets en forme des ondes que je transmets, comme je peux.

Je me souviens d’années complètement dingues.

A chaque instant, et ce n’est pas une façon de dire, à chaque instant je me souviens que je vais mourir et au même moment je me souviens qu’on ne peut que vivre ensemble : tous mes mois et tous vos vous. Je me souviens que j’aurais pu être une hirondelle. Je me souviens que je vivrai avec la rondelle en fuite. Je me souviens de la vieillesse. Je me souviens que je la fuis. Je me souviens qu’arpenter le monde est tout ce qu’il y a à faire pour se charger. Je n’oublie jamais de déposer des valises qui ne sont pas les miennes. Je suis ce relais. Je me souviens m’être pris successivement pour une éponge, une décharge, une poubelle, un sac, une mante religieuse, un cinéaste, des nuées, mon fauteuil, un pré, des choses invisibles et je me souviens que j’oublie. Je me souviens pourquoi j’écris. Je me souviens de tout ce temps. Je comprends que j’ai du temps, c’est ma richesse. Je me souviens que je mourrai la plume à la main.

Je me souviens de transes.

Je me souviens de ma peau sans failles.

Je me souviens de mon corps liquide. Je me liquéfie dans mes images. J’aime les arbres. Je les mange, ils me mangent. Je me souviens de mon enterrement sous cet arbre. Je suis un rêveur. Je me souviens de ma grand-mère. Souvent je me rêve, je rêve chacune de mes molécules, chacun de mes quarks, mes spins en fête et je me recompose. Je me souviens de ta psychose. Je me souviens que Théo, tout effort tendu vers ce but, cherchait à se tuer et n’y arrivait pas. Je me souviens que finalement… Je me souviens de toutes mes petites morts.

Je me souviendrai que j’ai écrit ces lignes lors de la demi-finale de la coupe du monde de la FIFA, en 2006, et la France obtient un penalty. Je me souviendrai de tous ces termes guerriers et je me souviendrai que cette face là de vous m’écoeure parce que j’ai réussi à la mettre, en moi, en veilleuse et je me souviens que ce ne fut pas facile, je me souviens que je fus éduqué comme un guerrier, je me souviens que mon père est un con. Je me souviens qu’il ne fait même pas ce qu’il peut. Je me souviens que l’on peut se construire a contrario et je me souviens que, en ce sens, je lui dois énormément. Zinédine va tirer, Ricardo face à Zinédine qui prend son élan et le Français marque. Les gens alentours, les rues, les jardins, le quartier gueule comme une troupeau de porcs qu’on égorge. Je me souviens de ne surtout pas succomber à la tentation de le faire. LA France va mieux, dit la radio.

Je me souviens que tout ceci est vraiment limite. Je me souviendrai des morts, des blessés, des poignardés, des éventrés, des empalés, penauds dans les hôpitaux après le match, je me souviendrai de ce policier qui parle de zone d’anarchie et de non droit, de bandes et de guérilla urbaine qui utilisent l’hystérie collective pour fondre sur la ville. Je me souviens qu’on se trompe sur tout. Je me souviens aussi qu’on fait ce qu’on peut, sans doute, mais on flatte toujours la porcine du gros couillon. Je sais que faire autrement n’est pas dans la conception moderne du jouir immédiatement, on est là pour peu de temps, eux aussi en veulent leur part, leur part du gâteau, je me souviens, vaguement, de mon instinct de prédation.

Je me souviens, je prends une seconde feuille blanche et les Portugais attaquent. Les Français résistent mais ils vont leur faire la peau, un coup de canon de Henry. Les Portugais sont très provocateurs, le radioman beugle qu’il n’y a rien du tout, le Portugais est tricheur et il essaie encore et encore. Les Français dégagent n’importe comment et ils ont raison, ils ont l’air serein, la radio serine, elle a horreur des blancs.

Je me souviendrai qu’en cet instant j’écris, que cela coule comme l’eau sous le rocher et que tout se mélange pour s’ordonner, là, je pourrais m’appuyer sur n’importe quoi pour dire ma pensée, il n’est plus question d’inspiration, il est question d’être. Je n’ai jamais besoin d’être inspiré, je me parle, les phrases se forment, la différence entre ce qui sera écrit ou non est le fait d’être assis, plume en main, occupé à écrire ou pas. Je me souviens de ce temps pour en arriver là. Je me souviens qu’écrire c’est former le monde qui par moi se représente. Je me souviens qu’exister c’est cela : se donner le choix, la volonté, la faculté, d’accéder instantanément au tout, ce tout qui est le monde en moi.

Attention, Ronaldo c’est un comédien, toujours ces journalistes vedettes, têtes de gondole d’un marché de dupes dopées, de paysans milliardaires, de fils de putes d’assassins de nationalistes de merde, une orgie du désespoir, Ronaldo c’est un comédien, tout ce que vous voulez, mais cela reste un très très grand joueur. Coup franc direct, non, c’est un corner.

Je me souviendrai que j’écris. Je me souviendrai qu’ils ont dit que l’arbitrage fut absolument parfait et que c’est important les arbitres et qu’il faut les respecter et les honorer, il faut citer leur nom. Et cela repart maintenant. Migule dégage très loin en profondeur pour donner de l’air à la défense.

Je me souviens que j’ai deux têtes, un bras –le bras vengeur de l’écrivain- et quelques jambes tout de même. Je me souviens que mes sexes portent le tout, nonchalament et sans surprises.

Je me souviens avoir été un Indien et que cela me reprend de temps en temps. Je me souviens avoir délibérément et définitivement choisi de ne pas être ce que vous appelez normal.

Je me souviens de la traversée. Quitter sans peine votre rive plate. Je me souviens des vents, de la houle, je me souviens de la nasse, des tasses, des rafales dans ma gueule, je me souviens de ce type avec un flingue dans ma bouche. Je me souviens que c’est lui, avec toute sa haine, qui a fait le plus pour moi en ce monde. Je me souviens de ses grimaces, je me souviens de son odeur, je me souviens qu’il ne me faisait pas peur et je me souviens de l’avoir vu se battre contre lui-même pour me tuer. Je me souviens avoir souri. Je me souviens de ce coup de pied dans son ventre, je me souviens de sa face rouge sur le trottoir, je me souviens n’avoir pas hésité à le tuer, je me souviens de cette sérénité du choix. Et Zidane tire, c’est du nanan.

Je me souviens avant, c’était l’échauffement.

Je me souviens que je consignais dans un agenda noir le nombre de pétards, mes additions annuelles, ma consommation. Je me souviens de l’addiction. Je me souviens que je ne voyais rien et je sais maintenant que je vois. Je te vois et je sais, je vois ton visage et tes traits et je sais ta vie, je vois tes mains, je sens ton sexe et je sens ton être, je vois. Je me souviens de ce chemin pour devenir voyant. Je me souviens de ce poème qui me délivra de votre emprisonnement volontaire, je me souviens que la politique est surtout une question personnelle, c’est cette question de l’embrigadement des mœurs, le façonnage des personnalités, les moules qui nous éduquent. Je me souviens qu’on n’a pas essayé de m’apprendre ni à penser, ni à aimer, ni à être, mais à calculer et à écrire, et j’en vois le résultat. Je me souviens que le terme « consommer » m’a toujours fait marrer, et il le fait encore. Je suis ours et je suis hirondelle. Je mange les arbres et ils me mangent.

Avant, c’était l’échauffement. Mais je vais devoir arrêter mes virgules lancées sur vos occiputs. Je me souviens de ce chemin du sens. Je me souviens que je déteste par dessus tout la poésie qui ne dit rien. Je me souviens que ceux qui alignent les mots pour se faire reluire la rampe me désespèrent. Je me souviens de tout ce mal que font les victimes de psychoses morbides à la joie de ce que l’art procure en réalité. Je me souviens d’avoir vu des tas de pseudo peintres, de pseudo poètes, de pseudo musiciens, rongés par le besoin d’être mais n’étant pas prêts à endosser les responsabilités des mouvements à opérer en eux pour y parvenir. Je me souviens que tu ne créeras rien de concret avant de t’être débarrassé de ce toi qu’on t’a construit pour toi, ce toi, ce toit, cette merde futile, je me souviens que pour te trouver tu dois boire l’océan jusqu’à n’être que cette infime mouette à l’aile brisée accrochée à cette planchette pourrie, et là te demander si tu aimes ou non. Te rendre compte que la réponse ne dépend que de toi. Être prêt à tout abandonner et foutre ta chair en liasses, la déposer n’importe où, partir pour se rendre à soi. Je me souviens avoir fait cela et n’avoir été qu’un salaud tout ce temps, tout ce mal que je faisais avant d’être voyant, cette caméra, ce regard qui peu à peu s’extrait de ton crâne et te rend tes actes, tes attitudes, tes grimaces, visibles. Je me souviens de ce traité, le Traité de dédoublement personnel. Je me souviens qu’il y a une issue, que c’est la seule, qu’elle est vivifiante et qu’on en bave. Je me souviens avoir abandonné tout. Je n’ai plus peur de rien. Le ciel est rouge, j’écris au bic, je suis en vie.

Je me souviens du sourire de la Lune, de son regard triste, ses pleurs en fuite à la poursuite du soleil.

Lâche, lâche mon petit gars, sur la Toile, tes petites crottes. Surtout ne pas paraître. Nous sommes quoi ? Une centaine à nous lire. C’est un miracle.

Angela

Je me souviens, galerie de la Reine, une jeune femme assise chantait. Je me suis approché sans regarder son air timide, je me suis accroupi à quelques pas. J’ai écouté sa musique rock country lancinante et un peu sombre. Angela parlait anglais. Elle est danoise. Son père travaillait à la Commission Européenne. Nous avons longtemps marché dans les ruelles baroques avant de nous quitter tout au bout de la ligne, terminus, tout le monde descend. Je l'ai cherchée durant de trop longues semaines. Les semaines sont longues à dix-sept ans.

Babel en fuite

Je me souviens que Bruxelles était une ville de province à la banlieue du monde.

Matinée, centrale et désuette

Je me souviens de la place de Brouckère le jour où la fontaine monumentale, cette flèche baroque de bronze, fut démontée. Bruxelles, cette vieille ganache rafistolée a le goût d'architectures chirurgicales. Je me souviens que les ouvriers ont découpé la fontaine au chalumeau, en deux morceaux. Le sommet se trouve au bout du Quai aux Briques. L’autre pièce a disparu.

Je me souviens, devant la Bourse, au milieu de la rue, il y avait cet arrêt de tram. Du jour où la Jonction fût construite, l’aubette fut démontée, le métro enterré, le train devait passer sous terre du Sud au Nord, cette frontière qui découpait la cité. Plus personne ne marchait sur la rue. Ils apprirent à vivre sous terre.

Je me souviens des tags, au début, on espérait qu’ils embelliraient les murs, des couleurs, des paysages, des portraits, l’art de façade quoi !

Je me souviens du Marché aux Oiseaux sur la Grand Place. Le dimanche. J’y allais souvent avec ma mère, je voulais absolument un canari et, quand je l’ai eu, il est mort.

Je me souviens que le Dj avait tellement mal aux doigts à force de scratcher qu’il scratchait avec ses pieds. C’était dingue quoi, tu vois, c’est çà la nuit à Bruxelles quoi.

Marie

Je me souviens de Marie, c’était la fille de l’épicerie. Moi, je l’ai connue vieille. Mais elle était très belle quand elle était jeune. Tout le monde peut s’en rendre compte. On peut la voir, on peut même la toucher. C’est elle qui a posé pour le nu qui trône sur la place de la Petite Suisse.

Marie était l'épicière de l'avenue Buyl, dans la descente, une épicière très belle que les jeunes gens du quartier courtisaient assidûment. C'est fou comme la beauté peut faire aimer les fruits. Et, on s'en doute, il y avait un artiste dont l'atelier ouvrait ses fenêtres sur la place de la Petite Suisse... Les vieux du quartier connaissaient Marie, ils l'avaient tous courtisée et ce qui demeure magnifique, c'est le sourire qui se loge sur leurs lèvres quand ils l'évoquent. Mon grand-père aussi regardait ma grand-mère comme si elle avait été jeune à vie alors que je ne voyais sur son visage que l'usure du monde. C'est une occasion rare celle ou l'on se souvient du nom du modèle et pas celui de l'artiste. Tout en tendresse.

Pierre Duys & un Anonyme au bistrot le Montmartre, place de la petite Suisse

La princesse aux petits pieds

Je me souviens que je creusais un trou sur l’île Robinson. J’y ai trouvé des pièces de monnaie à l’effigie de Napoléon. J’ai cru à une blague. Je me suis renseigné aux archives et j’ai appris que ce qu’on appelait le Chalet Robinson avait été construit par le roi pour y loger sa maîtresse. À l'époque. Tu te rends compte? Son carrosse, tiré par des chevaux blancs, empruntait l’avenue Louise, qui fut construite pour faciliter ses équipées nocturnes. Tu imagines? Ce que j’ai trouvé est peut-être le trésor de la maîtresse du roi. Un des Léopold, sûrement, mais je ne sais pas lequel.

Le val aux fèves

Je me souviens que ma grand-mère racontait qu'à Boondael c’était des champs jusqu’à Boitsfort. Les enfants du quartier jouaient sur les talus des chemins, ma mère tiraient les poules à la catapulte avec des clous. Mon oncle fabriquait des pétards, de la poudre noire et des fusées. Notre maison était la première de la rue. Aujourd'hui, ici, c'est la ville.

Faubourg et dépendance

Je me souviens, j’avais un ami qui habitait Wemmel. La première fois que je suis allée le voir j’ai dû prendre le métro jusqu’au bout de la ligne et marcher, marcher, passer un pont ou deux au-dessus d’une autoroute, c’était devenu la campagne. J’ai cru que je m’étais trompée, suite aux indications imprécises de mon ami, mais non. Je venais de Forest, dans le sud de Bruxelles, et Wemmel... C’était le bout du monde.

Ah mon colon !

Je me souviens d’avoir entendu parler d’un grand éléphant blanc à Tervueren près du musée. Quand je l’ai vu j’ai été très déçue : C’est l’éléphant du chocolat Côte d’or.

Bruxelles bruxellais

Je me souviens que j’ai fait l’amour avec P. sur un banc près du Palais de Justice. J’étais assise sur lui et j’avais l’impression de fondre comme neige au soleil. Il faisait pourtant gris.

La ville, ligne de ta main

Je me souviens que la première fois que je suis descendue du métro à De Brouckère, je me suis laissée porter par le tapis roulant et, au mur, il y avait cette phrase de Benno Barnard qui parlait de tenir la ville au creux de sa main.